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dimanche 20 octobre 2013

Écris-moi, Marie-Jeanne

Auteur : Ginette Durand-Brault
Éditions : Druide (mars 2013)
Nombre de pages : 448

Résumé : 1939. Les bonnes gens de Saint-Jérôme s'agitent; la guerre est déclarée et tout bascule.  Marie-Jeanne voit son frère Rodrigue partir volontaire, puis son fils.  Ses filles courent au mariage.  Son mari sombre dans la colère et l'angoisse.  Les logis sont rares et la paix des ménages est menacée.  Sur le front, dans les décombres des villes anglaises comme au milieu des splendeurs de Rome, Rodrigue rencontre la peur, la mort et la mystérieuse universalité de la guerre, mais aussi le courage et l'amour de Roselyn, pendant qu'à Saint-Jérôme, l'ami Philémon aidera Marie-Jeanne à se libérer de ses chaînes.  Entre la cuisine de Marie-Jeanne et le poste de combat de son frère, une correspondance émouvante voyage et témoigne des mutations dévastatrices et pourtant prometteuses de toute guerre.

Mon avis

Qu'est-ce qui fait qu'un livre devient un coup de coeur?  La voix de l'auteur qui vibre et qui éveille en nous une résonance particulière?  Le fait que l'on se retrouve dans son univers intime comme si on était chez soi?  Le fait qu'il utilise des mots qui auraient pu être les nôtres ou au contraire, parce qu'il met des mots sur ce que l'on n'était pas capable de nommer? 

C'est pour toutes ces raisons et encore plus que le roman Écris-moi, Marie-Jeanne est un coup de coeur pour moi.  C'est peut-être parce que l'auteure s'est inspirée de l'histoire de sa famille, enfin de celle de sa grand-mère et de son grand-oncle, que je me suis sentie autant «en pays de connaissance» dans ce roman.  En voyant comment Marie-Jeanne doit se soumettre à l'autorité de son mari, représentant celle de la loi et de la religion, mais aussi surtout en voyant comment sa fille Marie mène son mari par le bout du nez, lui si bon, si doux, mais si obéissant.  Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont pas toutes les femmes québécoises d'autrefois qui étaient totalement soumises.  Certaines «portaient les culottes» dans le ménage et cela m'a fait beaucoup pensé à l'histoire de ma propre famille.

J'ai été très touchée par le personnage de Marie-Jeanne qui s'est mariée par obligation, car tout ce qui s'offrait aux filles d'alors, c'était de se marier ou de devenir religieuse.  Elle a choisi le premier venu (ou presque) et se retrouve avec un homme avec lequel elle n'a rien en commun et qu'elle n'aime pas.  Ayant étudié plus longtemps que son mari, elle est désemparée devant le refus de celui-ci d'apprendre plus, ne serait-ce qu'à lire.  Il est dépendant des autres, mais il semble se refermer sur son orgueil masculin, comme s'il avait peur de l'instruction, des autres qui pourraient être plus intelligents que lui.  Il semble presque fier de son ignorance, en tout cas, il méprise l'école et refuse à certaines de ses filles plus studieuses de faire des études plus avancées.  Il faut qu'elles gagnent leur vie et qu'elles participent à la survie de la famille en rapportant de l'argent. Dans ce temps-là, les gens étaient vraiment pauvres, ils manquaient de tout et peinaient même à se procurer le minimum.  

Marie-Jeanne se sent coupable parce qu'à l'heure où tous ses enfants quittent le nid et se retrouvent avec leur propre famille, elle ne veut pas prendre son petit-fils et son mari, lorsqu'il devient invalide, à sa charge.  Dans la cinquantaine, elle veut retourner à son métier d'institutrice, mais comme à cette époque, les femmes étaient des mineures aux yeux de la loi, elle doit demander la signature (la permission) de son mari, mais celui-ci refuse.  Alors, elle se rebelle et quitte son mari pour aller vivre dans sa famille.  Son époux finit par céder sous les pressions de ses filles.  Marie-Jeanne est une femme courageuse, qui n'a pas peur de penser et de dire ce qu'elle pense, même face à la religion. 

Rodrigue, le frère de Marie-Jeanne, à qui les religieux ont refusé de terminer ses études classiques sous des prétextes fallacieux, se retrouve dans la même situation que sa soeur.  Il se sent souvent différent des autres, à part.  Après cet incident, il se retrouvera sans but dans la vie, exerçant mille métiers, dont celui de bûcheron jusqu'à ce que le Deuxième Guerre mondiale éclate.  Dans les lettres qu'il écrit à sa soeur, il exprime ses sentiments et ses pensées. Il est un homme sensible et sensé et il appuie sa soeur dans ses démarches d'émancipation.  Rodrigue trouve sa place et l’amour à la guerre et il évoluera lui aussi. 

Quelle belle découverte que ce roman !  Non seulement, l’auteure parle d’une ville qui est située pas très loin de chez moi, mais elle parle aussi de notre passé collectif et d'une famille québécoise qui pourrait être la nôtre.  Dans les lettres (fictives) que s’échangent Marie-Jeanne Gobeil et son frère Rodrigue Deschamps, elle restée à St-Jérôme et lui sur les champs de bataille en Europe, l'auteure aborde des sujets intimes, comme les rapports de couple, la religion, la liberté, la valeur d’une personne ou l’éducation. Elle le fait avec une telle finesse et une telle intelligence émotionnelle que j'avais hâte de lire la prochaine lettre, je l'attendais avec impatience.

La seule chose que j'ai à reprocher à ce roman sont quelques erreurs qui auraient pu être facilement évitées.  Par exemple, la soeur de Marie, l'une des filles de Marie-Jeanne, qui devient sa tante à un moment donné.  Ou un personnage qui se nomme alternativement Télesphore et Théodore.  Aussi, certains qui l'ont lu, disent avoir eu de la difficulté avec les répétitions qu'il y avait entre les lettres et la narration proprement dite, mais ce ne fut pas mon cas.  J'espère seulement que Madame Durand-Brault écrira une suite à ce roman, car j'aimerais vraiment savoir ce que les personnages sont devenus.  Ou même qu'elle écrira d'autres romans, car une écrivaine talentueuse s'est révélée!

La critique de Suzan est ici.  Celle de Venise, .  Et celui de Lali vient de s'ajouter ici.
Résumé et couverture : éditions Druide

6 commentaires:

Suzanne a dit…

Très beau billet dame opaline mais je ne partage pas tes vues sur les lettres, trop de répétitions mais bon ce n'est qu'un petit bémol et ça ne m,empêchera pas de lire à nouveau cette auteure car, elle a du talent c'est assuré.

Michel a dit…

Ton résumé me fait penser à "une jeune femme en guerre" de Maryse Rouy ? l'as tu lu

Lali a dit…

J'ai eu, moi aussi, beaucoup de mal avec les nombreuses répétitions, même si l'auteur a du souffle...
http://lalitoutsimplement.com/a-vouloir-tout-dire-on-finit-par-se-repeter/

Anne a dit…

Beau billet, on te sent très touchée !

Denis a dit…

bel article qui donne envie de découvrir l'auteur

Venise a dit…

Opaline, je crois que cela te fera plaisir, j'ai eu la confirmation de l'auteure : il y aura une suite.

J'espère qu'elle a lu ton commentaire de lecture, un bel encouragement pour elle.

Je suis moi aussi intéressée à cette suite malgré mes petits bémols. Je n'ai même pas vu les petites erreurs que tu soulignes ! Où ai-je la tête ma foi !